LCBO À Bon Verre, Bonne Table Printemps 2019

LES DOUX PLAISIRS PAR DOMINIQUE DENIS

GOMBO Zachary Richard (autoproduction, 2018) Gombo est le titre du dix-neuvième et plus récent album de Zachary Richard, mais ce pourrait être le titre de tous ses albums. En effet, à l’image de cette recette louisianaise dont la liste d’ingrédients est longue comme le bras, les disques de notre Cajun préféré sont variés, parfumés – et nourrissants, reflétant l’extra­ ordinaire pluralité de son cheminement : chants de réjouissance ( Zydeco Jump ) et de résilience ( La ballade d’Émile Benoît ), chansons de tragédies inexplicables ( Au bal du Bataclan ) et de désirs inassouvis (Catherine, Catherine , joli duo avec Robert Charlebois). Si Zachary est indémodable, c’est précisément parce que sa musique se positionne en marge des cycles de la mode et de l’obsolescence. On aurait presque envie de dire : en dehors du temps, à l’exception du « bon temps », qu’il continue de laisser rouler, plus de quatre décennies après ses débuts.

DES JOURS ET DES HEURES  Aram Sédèfian (autoproduction, 2018) Voilà une musique pétrie de souvenirs – et donc d’absence. Des chansons qui tanguent imper- ceptiblement comme l’ombre des feuilles des platanes sur la terre battue. Des chansons qui ouvrent le rideau sur les tumultes intérieurs de Billie Holiday, le regard tourmenté du peintre Arshile Gorky, ou le quotidien d’une anonyme Shéhérazade de faubourg à qui l’artiste rend sa part de mystère. Des chansons nouvelles qui en côtoient d’autres dont la genèse remonte aux années 1970, mais qui n’ont pas pris une ride. Si vous ne connaissez pas Aram Sédèfian, auteur- compositeur français d’origine arménienne, ce n’est pas de votre faute, mais bien celle de notre époque, qui a relégué à la marge une foule d’orfèvres dont les chansons, à un autre temps, au- raient été sur toutes les lèvres. Celles de Sédèfian assument leur parenté spirituelle avec l’œuvre de Moustaki, ce qui n’est pas peu dire.

VOIX DE CAILLOUX Rémo Gary (Camino Verde, 2018) Guilleret et printanier, ce disque? Que nenni! Mais on ne choisit pas toujours la saison pour parler de ces musiques qui s’imposent comme essentielles. Quand un auteur-compositeur doublé d’un exceptionnel interprète (Rémo Gary) met son talent au service d’un géant trop souvent oublié (Jacques Debronckart), il convient de saluer l’événement. Voix de cailloux fait revivre une poignée d’inédits que cet autre grand Jacques n’avait pas eu la chance d’enregistrer quand la Faucheuse l’emporta en 1983. Avec pour seul appui le piano de Nathalie Fortin, Rémo nous fait sourire ( Du côté du manche ), réfléchir ( Fille ) et pleurer ( Le soleil rouge ), y allant même d’un Demandez-moi des chansons issu de sa plume et enregistré pour l’occasion, question de nous rappeler que les plus beaux frissons naissent souvent d’un irrésistible besoin de partage.

PHILIPPE BRACH  Le silence des troupeaux (Sélect, 2018) Il lui aura fallu trois albums pour y arriver, mais Philippe Brach a détrôné Pierre Lapointe à titre d’artiste le plus ambitieux de la nouvelle chanson québécoise. Le moins qu’on puisse dire, c’est que Brach ne lésine sur rien pour nous en mettre plein la vue et les oreilles, y compris un orchestre et un chœur d’enfants dignes des fastes années du rock symphonique. Le silence des troupeaux nous est présenté dans une sorte de livre où les paroles trouvent écho dans une prose hallucinée ( Lettres du Frère Hurlant ). Quant aux dix chansons, elles révèlent son sens de la trouvaille rigolote (« J’t’en train d’essuyer ton refus / Ç’a fait un maudit beau dégât ») et une sacrée audace, qui lui permet de réécrire radicalement le classique Grandma’s Hands de Bill Withers, transformé en réquisitoire contre le privilège blanc.

18  À BON VERRE , BONNE TABLE PRINTEMPS 2019

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